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ACTUALITÉS NATIONALES

11 janvier 2024

Exigence : les vases communicants
Billet d’humeur du vice-président du SNE

A l’heure où nos gouvernants ne savent plus quoi inventer pour renforcer l’attractivité du métier d’enseignant, il serait temps que nos dirigeants ouvrent les yeux sur l’évolution de l’institution.

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Je vous parle d’un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître. C’était le temps d’une relative insouciance, où l’école était encore un sanctuaire et où les problèmes sociétaux n’avaient pas droit d’entrée. A cette époque, pas de plan Vigipirate, pas de caméras à l’entrée des lycées. Des blagues potaches, quelques rebelles en blousons noirs certes, mais sans commune mesure avec les violences verbales et physiques dont nous sommes régulièrement victimes.

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C’était le temps d’une école qui offrait aux élèves la possibilité de s’ouvrir au monde, d’apprendre avec gourmandise et d’acquérir des savoirs, avec un minimum de travail certes. Le temps où les élèves regardaient leurs professeurs avec admiration en se disant qu’un jour ils aimeraient bien posséder leurs connaissances et disposer de leur charisme. On cherchait à s’élever, souvent poussé par ses parents à faire un meilleur métier que le leur. Le mot travail s’écrivait avec une majuscule et les sanctions n’étaient pas proscrites. D’ailleurs personne n’aurait osé les contester.

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C’était aussi une école dans laquelle il y avait des règles implicites : il valait mieux se tenir à carreau si l’on ne voulait pas prendre un savon par le dirlo et une rouste par son père. Il n’y avait pas besoin de rédiger un règlement intérieur de 8 pages à signer par les familles pour faire semblant d’apprendre qu’on ne mâche pas de chewing-gum en classe.

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A cette époque, l’autorité des enseignants n’était pas remise en question : elle allait de soi. On ne reprochait jamais à un enseignant d’être trop exigeant. La sévérité était même perçue comme une qualité, une garantie de professionnalisme, c’est tout dire.

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Retour vers le futur

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Imaginez un instant un enseignant des années 80 propulsé à notre époque : reconnaîtrait-il son métier ? Que remarquerait-il ?

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  • Des élèves inattentifs et brouillons, des enfants rois à qui l’on ne peut rien reprocher, des parents intrusifs voire agressifs, une administration technocratique et envahissante…

  • Des élèves français dont le niveau n’a jamais été aussi bas : le nombre d’ élèves de CM2 faisant plus de 25 fautes multiplié par 4 (source DEPP) , 30% de collégiens incapables de lire correctement un texte…

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Depuis plusieurs décennies, on a baissé le niveau d’exigence : programmes allégés, suppression des notes au profit des compétences, diplômes au rabais…et surtout de la bienveillance à la pelle, à toutes les sauces (pour les élèves).

 

Les enseignants sont invités à ne surtout pas décourager les élèves, ni leur dire que «ce n’est pas bien». Il ne faudrait surtout pas les stigmatiser. De toute façon, les parents disposent désormais de tout un panel d’excuses pour justifier des difficultés de leurs enfants.

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Avez-vous déjà reçu un parent qui ait remis en cause le travail de son enfant, son implication ou son manque de volonté?

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Conséquences

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On a externalisé la difficulté scolaire, avec un effet pervers mais prévisible : celui de faire endosser aux enseignants l’entière responsabilité de l’échec scolaire.

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Pour ne rien arranger, notre hiérarchie n’a jamais été autant sur le dos des enseignants : la moindre défaillance se paie cash. La moindre plainte des parents déclenche un plan ORSEC de la part de l’administration, voire une investigation à charge ! Le niveau de pression est tel que certains en perdent le sommeil ou ne parviennent plus à décrocher, même le week-end. Les plus lucides jettent l’éponge et se mettent en quête d’un métier moins invasif.

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Il faut dire que pour être enseignant de nos jours, il en faut des qualités et des connaissances extra-disciplinaires ! Il n’a jamais été aussi difficile d’enseigner, de s’adapter à des élèves chaque année plus complexes à gérer et de plus en plus agités. Être professeur, c’est exercer un métier exigeant, demandant rigueur, disponibilité, patience et abnégation. Mais aussi un métier où il faut désormais composer avec les problèmes du monde entier, puisque l'École est appelée à la rescousse pour remédier à tous les maux ou presque…

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Suivant le principe des vases communicants, l’exigence (et tout ce qui en découle) a changé de contenant. C’est à présent aux enseignants de faire des efforts: efforts pour s’adapter à chaque élève, efforts pour assister à des animations pédagogiques inutiles, efforts pour ne pas s’énerver devant un élève irrespectueux, efforts pour rester poli et courtois en toutes circonstances, efforts pour remplir des dossiers que personne ne lira jamais, efforts pour se former y compris dans des domaines où ils sont déjà experts, efforts pour vivre aussi dignement que leurs prédécesseurs avec une rémunération qui se flétrit depuis 30 ans…

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N’est-il pas paradoxal de constater que plus le niveau d’exigence baisse pour les élèves, plus celui-ci augmente pour les professeurs?

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Si les jeunes diplômés se détournent du métier, et si les plus aguerris vont chercher une herbe plus verte ailleurs, c’est aussi peut être pour ça.

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Laurent Hoefman,

vice-président du SNE

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