ACTUALITÉS NATIONALES
5 juin 2019
Quelques alexandrins pour rire et non pleurer
D'une folle opération : « un livre pour l’été »
Cette année, l’opération « un livre pour l'été » est reconduite. Les Fables de La Fontaine vont être offertes à tous les élèves de CM2.
Cette opération s’accompagne d’un mail de la part de notre ministre, arrivé il y a quelques jours dans notre boîte professionnelle, nous précisant la marche à suivre pour « assurer la réussite de cette initiative » : présenter l’œuvre aux élèves et organiser un évènement solennel, invitant parents, élus, professeurs de sixième et personnels de bibliothèque.
Pour l’occasion seulement, en ce début d’été,
Une fable légère en dira bien assez :
Le lion, la fourmi et le moucheron
Un lion fort dépité, ministre de son état,
De sa superbe d’antan se mordillait les doigts.
De préavis de grève en classements PISA,
Tentait d’y remédier mais n’y parvenait pas.
Augmenter la pension de mes dociles agents ?
Accorder la visite d’un médecin prévenant ?
Alléger le fardeau de directeurs usés
Dont les tâches viennent à point mais le temps à manquer ?
Ces idées saugrenues n’en valent pas la peine,
Je n’aurai qu’à offrir les Fables de La Fontaine !
Des dizaines, des centaines, que dis-je, des milliers !
De ma sagesse illustre je vais vous inonder.
Ce génie, cette lumière, on saura que c’est moi,
Je serai le Phénix des hôtes de ces bois.
Un beau jour, m’est avis, on pourra voir un lion
Accéder, c’est justice, enfin au Panthéon.
Cependant je voudrais, c’est tout à mon honneur,
Que mon vœu d’une toute scientifique rigueur
S’accompagne, et pour gage d’efficacité,
Mon ministériel sceau y sera apposé.
Dans sa classe une fourmi, qui souffrait de gelure,
En plein mois de juin, du point d’indice bien sûr,
Trouva sur son bureau un bien pesant colis
Empli du génie d’un ministre de Paris.
Le lion, au travail jamais ne rechignant,
A toutes ses fourmis mandait expressément
D’inviter maires, parents, enfants et enseignants,
Et devant ce beau monde de célébrer l’instant.
Mes cousines du collège devrai-je aussi convier ?
Volontiers le ferais-je, mais aucune ne viendrait.
Dans quelle autre forêt, dans quel étrange bois,
Vit cette sommité qui décide ma loi ?
Je croyais le Royaume en grand besoin d’argent,
Que les caisses étaient vides, elles ne le sont pas tant.
Mon cachet, je l’entends, n’est pas près d’augmenter,
Ces messieurs de Paris ont d’autres priorités.
D’une fatigue résignée elle se mit à pleurer.
De fête d’école en sortie de fin d’année,
Elle ne put en substance que de loin aborder
La zoologique œuvre qui bien mieux méritait.
Un matin, un moucheron, depuis peu dispensé
D’un labeur quotidien par les vacances d’été,
Commençait, c’est un comble, à déjà se languir
Loin de tous ses amis adultes en devenir.
Se dit tiens, pourquoi pas, entrouvrir cet ouvrage,
Qui parlait d’animaux dans un curieux langage,
De renards, de corbeaux, cela prenait un sens,
La maîtresse nous guidant, toujours avec aisance.
De syntaxe inversée en lexique suranné,
Sans l’aide précieuse d’une fourmi dévouée,
Le moucheron volontaire, et pourtant plein d’entrain,
Ne comprit pas grand-chose, pour ne point dire rien.
Jamais cette campagne ne fut évaluée,
C’est un tort pour autant car elle aurait brillé,
Par son coût conséquent et les milliers de fables
Qui restèrent à jamais dans le fond d’un cartable.
Patrick Ruiz
délégué SNE34