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ACTUALITÉS NATIONALES

2 février 2021

Un manuel officiel de lecture : horreur ou opportunité ?

La parution d'un manuel de lecture officiel pour le CP a déclenché de nombreuses réactions, unanimement défavorables.

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Ces résistances surfent avec démagogie sur une détestation de M. Blanquer, sur des soupçons quasi-complotistes envers l'institution, et sur la célébration d'une liberté pédagogique logiquement fédératrice.

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Ces oppositions obtiendront probablement l'approbation d'une majorité de nos collègues dans un réflexe corporatiste convenu.

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Pourtant...

 

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Le choc des idéologies
sne-csen.net 20-02-02 methode de lecture

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Dans le monde sans nuance que nous impose progressivement l'époque, les décideurs sont communément pointés comme de méchants libéraux qui n'ont d'autres ambitions que de livrer le service public à leurs amis, les puissants du secteur privé. 

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Dans ce contexte, la moindre tentative d'infléchissement de nos pratiques par un ministre, quel qu’il soit, est perçue comme une manœuvre malveillante, incompétente ou les deux à la fois.

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Cette analyse “simpliste” oublie que les enseignants sont, dès leur formation initiale, soumis à une doctrine envahissante, élaborée dès 1989, et régulièrement psalmodiée en formation continue.

 

En matière d'apprentissage de la lecture, il existe pourtant de nombreuses études sérieuses et documentées qui évaluent avec précision l'efficacité des manuels et des méthodes (lire, parmi d'autres études, la conclusion page 29 du Rapport Deauvieau : Lecture au CP : un effet-manuel considérable*).

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​Quel mal y aurait-il à tenter de promouvoir les meilleurs manuels ?

 

C'est que là encore, l'idéologie s'impose : le simple fait de s'intéresser aux résultats de l'école serait coupable. Étudier le "rendement" d'un enseignement, c'est utiliser un terme libéral venu du vocabulaire managérial des entreprises privées... et donc hérétique. Le projet est disqualifié par principe.

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Cette conviction a un fondement respectable : un service public n'a pas à être "rentable". C'est vrai, mais trop réducteur. Un service public doit assurer le meilleur pour tous. Pour cela, il a le devoir de chercher à améliorer son efficacité et à éviter le gaspillage des ressources.

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L’apprentissage de la lecture : l’histoire d’un échec

 

Or, c'est bien le sujet : malgré l'engagement formidable des collègues, le système peine à former de bons lecteurs, et la France se classe parmi les derniers aux tests internationaux...

 

Invoquer la liberté pédagogique est fallacieux, en ceci qu'elle est à l'œuvre depuis des années, et a fait la preuve de ses fragilités : 30% des élèves de sixième sont officiellement "mauvais lecteurs". Imagine-t-on acheter une voiture ayant une chance sur trois de tomber en panne ? On le tolère pourtant d'un service public. Les enseignants, les parents, les citoyens s'en désespèrent... les idéologues s'y accrochent...

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Nous sommes désormais recrutés au niveau "master". Cette excellence nous confère un statut d'ingénieur pédagogique. Les collègues ayant glorieusement triomphé de l'adversité d'un concours sélectif se conçoivent très légitimement comme des concepteurs, et non des exécutants. Attirer notre attention sur l'efficacité d'une méthode extrinsèque (fut-elle efficace) est vécu comme un inacceptable mépris. Nous serions parfaitement capable de la sélectionner nous même, voire d'en concevoir une meilleure encore... ce dont on ne se prive pas puisque l'institution elle-même nous encourage à créer nos propres outils, dans une diversité réputée riche et salutaire. 

 

Cette variété masque pourtant une réalité fort peu républicaine : tous les élèves ne bénéficient pas du meilleur, et certaines pratiques d'apprentissage de la lecture forment des bataillons entiers de lecteurs fragiles. Ces mêmes pratiques ont pourtant été validées par des inspecteurs tatillons. Mais ces derniers ne vérifient que l'orthopraxie de l'enseignant. A-t-il "innové" ? Alors, son rapport sera élogieux ! Qui a jamais vu apparaître les résultats de ses élèves sur son rapport d'inspection ?

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La conception actuelle de la liberté pédagogique est trompeuse en ceci que si, dans une démarche humble de débutant ou de professionnel capé de retour dans un niveau, je souhaite être davantage exécutant que concepteur, je ne le peux pas. Devant une profession aux réactions épidermiques devant la moindre proposition, l'institution craint tant d'imposer des modèles qu'elle en oublie de fournir des exemples. Il n'existe donc pas de manuels institutionnels. Leur simple existence exercerait une pression trop grande envers tous ceux qui s'en écarteraient.

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Le droit de pouvoir être aidé

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L’interdiction de méthodes ou d’ouvrages institutionnels est tout aussi violente puisqu'elle impose à tous la création ex nihilo d'une programmation, d'une progression et de séquences aussi astucieuses que pertinentes dans toutes les disciplines, et quotidiennement !

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Les prodiges qui y parviennent suscitent notre admiration et notre respect. Mais exiger de chaque enseignant d'être Mozart... ou mauvais, revient à claironner qu'il faut être trop bon... pour l'être assez.

 

Les éditeurs de manuels se sont depuis longtemps engouffrés dans la brèche. Dès lors, pourquoi ne pas proposer des manuels nationaux, dans un esprit tout à fait républicain, à ceux qui préfèrent s'y référer ?

 

Il convient évidemment de rester vigilant. Proposer n'est pas imposer. Il est impératif que ceux qui préfèrent une méthode adaptée à leur personnalité, à leurs pratiques, à leurs expertises, puissent le faire en toute liberté. Rien n'interdit non plus de s'inspirer d'une méthode existante, pour l'améliorer et l'adapter à son propre fonctionnement.

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Les juges de paix en la matière sont les résultats des élèves, résultats à considérer et à pondérer en tenant compte des contextes locaux. La réussite des élèves dépend en effet aussi de critères extra-scolaires. Ceci étant, il n'est pas réducteur de considérer le nombre de mots lus par minute comme un critère parfaitement objectif en fin de CP. Dénier une valeur scientifique à cette démarche, c'est s’arc-bouter sur une vision sectaire du "rendement" d'un service public. Plus que de tolérer ses imperfections, c'est s'en recommander !

 

Au SNE, nous pensons que la prudence et la tempérance s'imposent. Un collègue qui se sent de taille à concevoir toutes ses leçons doit pouvoir le faire en toute liberté, avec les encouragements admiratifs de tous pour peu que les résultats de ses élèves valident sa démarche.

 

Pour les autres collègues, la livraison de ce manuel de lecture CP est plutôt une bonne nouvelle... qui en appelle d'autres !

 

Pierre Puybaret

Membre du bureau national

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*Rapport Deauvieau : https://sciences-sociales.ens.psl.eu/IMG/pdf/rapport_enque_te_lecture_deauvieau.pdf

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