ACTUALITÉS NATIONALES
1er février 2022
L’école inclusive, survivre au quotidien
Inclure les élèves porteurs de handicap dans une classe « ordinaire » est un but louable, une volonté humaniste à laquelle tout enseignant ne peut que souscrire. Au SNE, nous souhaitons nous aussi pouvoir accueillir décemment tous les élèves qui nous sont confiés, pouvoir les faire progresser ensemble dans une atmosphère de classe la plus sereine possible.
S’il est de nombreux exemples d’inclusion bien vécue, il en est malheureusement beaucoup d’autres où les choses dérapent. Dès lors, la souffrance s’installe, pour l’enfant accueilli, pour les autres élèves, pour l’enseignant et pour l’AESH, quand il y en a un.
Nous vous proposons de découvrir un certain nombre de témoignages de collègues sur leur quotidien en école inclusive, puis les propositions que le SNE défend pour améliorer la situation de tous.
Une pression supplémentaire quotidienne
« Accueillir dans une même classe de CP/CE1 un enfant avec trouble autistique, plus un enfant hyperactif en attente de traitement médicamenteux, plus un dysphasique sévère , plus une enfant en attente de diagnostic dyspraxie ou pas sans aucun AESH, ça parle tout seul non? »
« Nous devons temporiser, subir, parfois pris en tampon entre les familles et notre institution qui nous demande toujours plus avec encore moins tout en gérant parfois la souffrance des autres enfants de la classe et le questionnement des parents quand l'enfant handicapé est violent avec ses camarades. »
« Devant la difficulté à supporter les cris, l'agitation constante et l'impossibilité d'entrer dans les apprentissages d'un ou plusieurs élèves (situation récurrente depuis 3 ans) au milieu d'un groupe-classe de 26 CP ayant eux-mêmes de grandes difficultés (public de REP... mais école non classée REP ), je suis sous anxiolytiques pour continuer malgré tout à exercer mon métier, parce que l'injonction "Faites-vous arrêter" renvoie à me dire que je suis une incapable, malade, et coupable et ça, c'est encore plus déprimant car j'aime enseigner... »
L’institution se targue d’inclusion, quitte à écraser les enseignants. Les manques de moyens, de soutiens, relevés ici montrent à quel point la solitude de l’exercice du métier d’enseignant peut se révéler destructrice. Inclure un élève porteur de handicap sans les bonnes conditions est une gageure.
Le danger physique en plus
« Jet de projectiles dans tous les sens, violence envers les autres, cris. Il est impossible de faire classe correctement : les autres enfants sont perturbés par la situation. Je suis en arrêt accident du travail (2 semaines et demi) : blessure au bras (du fait de l'élève) »
Le plus affligeant est que, même en cas de blessure, le plus souvent rien ne change. C’est à l’enseignant qu’il est demandé de faire un effort pour poursuivre sa mission. Une situation inacceptable.
Le manque de moyens
« J’avais une AESH pour une petite autiste. Tout se passait bien jusqu’à ce que la coordinatrice PIAL me demande de partager l’AESH avec une autre école. La petite cherche son AESH et tout part en cacahuète ! »
« Aucune structure ne l'a accepté, y compris l'hôpital de jour pour enfants autistes, ayant indiqué que la déficience est trop importante, mais nous, école maternelle, sommes obligés de l'accepter, c'est aberrant... »
Le manque de moyens est une des causes majeures de l’échec de l’inclusion réelle, celle qui fonctionne pour le bien de tous. Il revient à l’administration de se doter de moyens à la hauteur de ses ambitions plutôt que de se vanter de chiffres d’inscrits et de clamer la grandeur des enseignants qui accompagnent tant bien que mal les élèves qui leur sont confiés.
« Je n’ai aucune formation d’éducatrice spécialisée. Ce n'est pas ce concours que j’ai choisi de passer. Aujourd’hui, pour faire plaisir aux familles et les laisser dans un déni qui n’aidera pas leur enfant par la suite, pour éviter de mettre les moyens pour les instituts spécialisés, je dois, avec un ou plusieurs enfants qui déstructurent une classe déjà difficile, être psychologue pour les parents, pédiatre, infirmière, orthophoniste, conseillère d aide à la parentalité, AESH, ATSEM et tout ça avec la pression de l'institution qui veut du résultat et avec un seul salaire. »
La recette de la réussite
« En GS, j'avais un enfant autiste, un cas très difficile : pas de langage, contexte social et familial très difficile. En MS, il ne venait que le matin. L'enseignant-référent qui ne l'avait jamais vu, a décrété qu'il pouvait faire la journée complète avec AESH le matin et sans AESH l'après-midi. J'ai appelé au secours auprès de l'inspection qui a envoyé dans la classe une conseillère pédagogique spécialisée handicap et une psychologue spécialiste de l'autisme travaillant en lien avec l'Education Nationale.
Nous avons négocié avec la maman pour qu'elle le garde les après-midis, chose qu'elle aurait pu nous refuser car pour pouvoir garder son enfant, elle n'a pas pu prendre le travail.
Cet emploi du temps et l'intervention de la conseillère et de la psychologue nous ont aidé à intégrer l'enfant sans qu'il soit dangereux pour lui ou pour les autres. »
« Pour cette année, plusieurs inclusions avec AESH. Cela se passe bien si les démarches sont faites bien en amont avec tous les partenaires. »
Fort des retours collectés depuis plusieurs années, le SNE défend une nouvelle définition de l’inclusion. Pour notre syndicat, il ne suffit pas d’enregistrer un enfant porteur d’un handicap sur une liste d’élèves et de lui fournir une chaise pour que l’école soit inclusive. Pour que l’école soit inclusive, l’inclusion doit être bénéfique, elle ne doit pas se réaliser au détriment des uns ou des autres, mais au bénéfice de tous les élèves.
Une école inclusive est une école qui accueille les élèves porteurs de handicap avec les autres dans de bonnes conditions, matérielles et humaines tant pour l’élève inclus, que pour les autres élèves de la classe, l’enseignant et l’AESH.
Sans cela, il est illusoire de parler d’école inclusive.
Le travail collectif est aussi une composante de la réussite de l’inclusion. Ainsi, l'enseignant devrait être écouté et entendu lors des équipes de suivi. Les difficultés rencontrées dans le processus d’inclusion doivent être prises en compte en amont et très régulièrement par l'administration. Chaque enseignant a ses compétences et ses limites. Certains sont capables de l’exceptionnel, d’autres pas. Il faut savoir le considérer. Le temps d'adaptation dans une classe n'est jamais une option. C'est une fois que c'est trop tard, une fois que la souffrance ressentie est trop forte que l'on agit. Pour prévenir cette souffrance, une inclusion doit être repensée à chaque nouvel enseignant. Les doutes, les interrogations, voire les peurs même de cet enseignant doivent être entendus.
En plus des moyens, l'inclusion scolaire demande du temps, des échanges et des formations qu'on ne donne pas aux enseignants .
Ceci posé, il demeure des situations qui posent des problèmes insolubles. L'existence des classes Ulis prouve que l'institution reconnaît un seuil. L'intensité de certains troubles impose un accueil et des soins spécialisés. L’école, aussi ouverte et humaniste soit-elle, n’est pas un hôpital de jour ou un IME. Un enseignant n’est ni un éducateur spécialisé, ni un soignant.
De plus, tous les élèves ont le droit d’avoir du temps de leur enseignant, de se sentir en sécurité à l’école.
Ces considérations doivent borner les limites raisonnables de l’inclusion. Il est des situations où un enfant sera mieux pris en charge par des structures spécialisées, avec des professionnels idoines plutôt que par un semblant d’inclusion illusoire dans une école « ordinaire ».
Que le ministère le reconnaisse sera un début, qu'il s'en donne les moyens sera une œuvre de justice.
Philippe Ratinet
Secrétaire général aux publications