ACTUALITÉS NATIONALES
21 mai 2024
Les violences faites aux enfants,
audition du SNE à l’Assemblée nationale
Au mois de décembre 2023, des membres de notre syndicat ont été invités à participer à l’Assemblée nationale, à une audition sur la problématique des violences faites aux enfants. Elles ont eu l’occasion de faire entendre la voix des personnels du premier degré et de faire des propositions pour améliorer les canaux de signalement existants. En effet, trop souvent, les enseignants et les directeurs d’école sont désespérément seuls face à ces douloureux dossiers. L’actualité nous a d’ailleurs récemment rappelé la nécessité criante d’améliorer les choses en la matière.
Un constat unanimement partagé
Les enseignants et les directeurs d’école sont d’abord seuls face à eux-mêmes. Ils doivent prendre des décisions face à ces problématiques aux enjeux cruciaux, sans être formés au repérage et à la gestion de ces situations, ni à la conduite des entretiens avec les familles et sans être toujours aidés par leur hiérarchie.
Ce devoir de signalement est difficile à exercer devant les menaces parfois proférées le soir, à la sortie de l’école, surtout quand cela concerne l’enfant d’une personne sous emprise, l’enfant d’un notable ou celui d’un élu. Nombre de collègues ont vécu ces menaces verbales ou physiques parce que la famille avait appris que le signalement dont elle était l’objet venait de l’école.
Malgré cela, les personnels du premier degré informent et signalent, peut-être pas assez… mais il y a les doutes, la peur de se tromper, la peur d’une mauvaise interprétation de signes faibles, la peur de mettre en déroute une cellule familiale, …
Alors qu’en maternelle, les collègues peuvent observer des enfants plus spontanés, en élémentaire cela devient beaucoup plus compliqué car les élèves développent, malgré eux, des techniques pour cacher ce qu’ils vivent. L’écoute de l’enfant ne se fait pas toujours dans de bonnes conditions. Et que dire des enfants en situation de handicap qui vivent ces violences?
Les collègues remarquent que la période COVID a augmenté le phénomène de maltraitance dans les foyers. Tous sont sensibilisés par ce qu’ils voient et par les statistiques qui leur sont fournies mais tous se sentent démunis et souvent impuissants.
Les propositions faites par le SNE
Lorsqu’il n’y a pas de marques physiques évidentes qui attesteraient d’une maltraitance, le premier constat exprimé par les collègues est le besoin de temps. En effet, les membres de l’équipe éducative en ont besoin pour pouvoir constater un changement, un fonctionnement «atypique» de l’enfant qui peut interroger, notamment à travers des «signaux faibles».
Notre syndicat a proposé des pistes d’amélioration des procédures de signalement actuelles :
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Fournir une grille nationale d’observation pour les équipes enseignantes, en associant d’autres membres de l’Education nationale (psychologue, infirmier scolaire, médecin scolaire, …). Cela pourrait être un moyen de repérage sur plusieurs années.
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Rédiger, là où il n’existe pas encore, un protocole à suivre quand l’enseignant a des interrogations à propos de situations de violence.
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Créer une équipe mobile de professionnels dans chaque DSDEN, à contacter en cas de doute, de besoin d’étayage pour réaliser une IP ou un signalement. Les médecins scolaires ne sont pas assez nombreux, pas plus que les infirmières scolaires, les RASED ne sont pas toujours au complet et les psychologues peu présents sur les écoles en raison de leur charge de travail.
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Préciser clairement et partout que la famille ne doit pas être informée de l’IP ou du signalement si cela est contraire à l’intérêt de l’enfant. Dans certains départements, cette indication ne concerne que les violences sexuelles intrafamiliales.
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Augmenter les moyens humains essentiels pour le repérage et le suivi (infirmière ou puéricultrice, psychologue ou médecin) car il n’y a pas de personnes relais et pas toujours de retours des IP réalisées alors que les situations se dégradent. Les enseignants ont le sentiment d’être isolés lorsqu’ils sont face à leurs interrogations. Ils ont des documents administratifs à remplir, il n’y a pas de lien avec leur hiérarchie puisque ces situations se traitent au niveau du conseil départemental et non de l’Education nationale. Les enseignants n’ont pas de retour sur les conséquences de leurs signalements : ont-ils eu raison ? Ont-ils mis à mal l’enfant ou sa famille ? Les services sociaux ne se mettent pas non plus en lien systématiquement avec l’école ou les délais sont très longs, même dans le cas de mesure AEMO. Les enseignants peuvent être convoqués très tardivement à la gendarmerie pour y être entendus. Les personnels en charge de ces dossiers changent souvent et les suivis des familles ne sont pas toujours réalisés. Lorsque les familles changent de département, ces dossiers ne sont pas systématiquement transmis. Les enseignants ne connaissent donc pas toujours l’histoire des enfants qu’ils accueillent dans leurs classes alors même qu’ils ont été suivis par les services sociaux. Nous avons besoin d’informations dans notre cadre professionnel, sans pour autant être intrusif dans la vie privée des familles.
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Coordonner un réseau de proximité avec les acteurs sociaux, la police, les politiques, les services de santé.
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Former les enseignants à des procédures claires, communes à tous les territoires. Les formations initiales et continues traitant de ce sujet sont trop souvent inexistantes dans le premier degré. L’école est isolée, loin de la médecine scolaire. Elle a besoin de liens réguliers avec les services sociaux de proximité.
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Avoir une formation initiale efficace sur le sujet et aborder la violence, sous toutes ses formes. La question des cours d’éducation à l’intimité et à la vie affective serait une piste pour améliorer la prévention de la maltraitance. Mais ces cours méritent des outils totalement adaptés à l’âge (pour aborder le thème en PS), ou des interventions de professionnels de santé (infirmière de PMI, infirmière scolaire) pour que les visites médicales de suivi soient assurées pour tous les élèves et pour faire des interventions spécifiques auprès des élèves de cycle 3.
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Réinstaurer les visites médicales annuelles à tous les niveaux scolaires.
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Le contexte de misère sociale dans certains quartiers, quel que soit le département en France métropolitaine ou en outre-mer, ne facilite pas la vie des enfants. Le manque de mixité sociale, les séparations des couples qui peuvent amener à des féminicides et infanticides, l’alcoolisme, la drogue, le manque de repères et un avenir incertain vont nécessiter un renforcement de la législation. Les enfants doivent savoir que la justice est là pour les protéger et sanctionner les auteurs de leurs souffrances. Les procédures doivent être plus rapides. Les parents doivent être soutenus dans l’éducation de leurs enfants, mais ils doivent aussi connaître leurs obligations et leurs devoirs parentaux.
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Enfin les enseignants qui réalisent les IP ou les signalements doivent se sentir soutenus et remerciés par leur hiérarchie. Celle-ci doit veiller à alléger leur charge administrative et émotionnelle. L’institution scolaire dans son ensemble (IEN, DASEN, Recteur, …) doit être garante de la protection de ses agents pour qu’ils puissent poursuivre sans crainte leurs missions. Avec des parents notoirement dangereux, par exemple parce qu’ils ont déjà fait preuve de violence, il serait judicieux de proposer aux collègues, après l’IP ou le signalement, une ASA ou une mise en télétravail pour les directeurs, le temps d’analyser la dangerosité de la situation. Pour protéger efficacement les fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions, l’article 433-5 du code pénal devrait également être systématiquement appliqué.
A travers cette audition, notre syndicat s’est efforcé de traduire de manière simple et concise, ce douloureux problème de société.
Les interventions ont été écoutées et questionnées avec intérêt et attention. Nous espérons maintenant qu’elles déboucheront sur des évolutions positives dans un futur proche.