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ACTUALITÉS NATIONALES

3 octobre 2019

"Suicide à Pantin: la solitude des directeurs d’école"
Laurent Hoefman, président du SNE et David Dhersin, délégué SNE62, témoignent de leur quotidien de directeurs
article de Morgane Rubetti à lire sur LeFigaro.fr

TÉMOIGNAGES - Une grève et plusieurs rassemblements ont lieu ce jeudi en solidarité avec Christine Renon, la directrice qui s’est suicidée dans son école de Pantin. Plusieurs directeurs racontent au Figaro les difficultés du métier et le manque de soutien dont ils pâtissent.

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Dans sa lettre, Christine Renon alertait sur le travail épuisant des directeurs. La directrice de l’école Méhul, à Pantin (93), s’est donné la mort le 23 septembre dernier. Dix jours après le drame, les syndicats d’enseignants de Seine-Saint-Denis et d’ailleurs en France ont choisi de faire grève. Un Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail extraordinaire (CHSCT), saisi par l’académie de Créteil, se tiendra jeudi 3 octobre dans l’après-midi dans les locaux des services départementaux de l’Éducation nationale (DSDEN) à Bobigny. Pendant ce temps, un rassemblement aura lieu, quelques heures après les obsèques de l’enseignante «fatiguée», «épuisée» par l’accumulation de «soucis» et qui n’a pas été entendue.

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«Avec 39 cas pour 100.000, le taux de suicide est 2,4 fois plus élevé parmi les enseignants que pour la moyenne des salariés», relevait en 2015 Françoise Laborde, sénatrice de Haute-Garonne. La surcharge de travail et les responsabilités qui pèsent sur les épaules des directeurs d’école les font parfois se sentir dépassés. «Je suis psychologue, assistant social, infirmier, DRH, secrétaire, pilote d’une équipe pédagogique...», énumère David Dhersin, directeur d’une école REP+ de 328 enfants à Sallaumines, dans le Pas-de-Calais (62). Il y a encore deux ans, David Dhersin, délégué syndical SNE, était aidé par une secrétaire. «Le poste a été supprimé, faute de moyens financiers, déplore-t-il. En revanche, dans un collège de 400 élèves, cinq à six personnes sont chargées du secrétariat. Il y a un fossé entre l’école primaire et le collège.»

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Les directeurs et directrices d’écoles se chargent donc seuls de ce que Christine Renon a nommé dans sa lettre «ces petits rien qui occupent à 200% notre journée»: les rendez-vous avec la mairie, les dossiers d’inscriptions à remplir à la fois par écrit et électroniquement, les élections de parents d’élèves, abandonner une classe quelques minutes pour ouvrir ou fermer la grille de l’école, les enquêtes demandées par l’Éducation nationale... Impossible pour les directeurs qui nous ont répondu de renvoyer les documents en temps et en heure. «On doit également obtenir l’accord de la hiérarchie pour chaque projet comme une sortie scolaire ou la venue d’un intervenant. Ce qui signifie encore plus de papiers à remplir», souffle Anabel Roy, à la tête d’une école de 3 classes, soit 70 élèves, en Haute-Vienne (87). La secrétaire départementale de l’UNSA est directrice depuis 18 ans, dont «les sept premières années en grève administrative».

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«Celui qui s’engage dans la direction d’une école le fait par passion et pas pour la rémunération.»

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Les directeurs sont également chargés de la sécurité de l’école. «Nous organisons les exercices incendie, attentat, intrusion, confinement etc, explique Anabel Roy. Pour chaque exercice il faut rédiger un compte rendu. Je le fais quand j’ai le temps...» Selon elle, un enseignant cumule 44 heures par semaine quand un directeur en fait 50 à 54.

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La charge administrative exigée semble trop lourde par rapport au temps passé avec les élèves. Du temps leur est accordé pour s’occuper de l’organisation en fonction du nombre de classe qu’ils dirigent. Dans une école de plus de 14 classes, comme David Dhersin, le directeur est «déchargé d’enseignement». En revanche, Anabel Roy n’a qu’un jour par mois pour s’occuper de l’administratif, puisqu’il n’y a que trois classes dans son école, et continue donc d’enseigner toute la semaine. «C’est une honte qu’il y ait des directeurs non déchargés», avait écrit Christine Renon dans sa lettre.

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Tout ce travail invisible n’est pas reconnu. «Celui qui s’engage dans la direction d’une école le fait par passion et pas pour la rémunération», prévient David Dhersin. En moyenne, un directeur ne gagne que 7% de plus que ses collègues enseignants. Nos témoins, et nombre de leurs collègues, sont à bout: «Être directeur doit devenir un métier particulier avec un statut particulier, la possibilité de décider davantage, une différence salariale plus importante et un temps de décharge supplémentaire», explique Laurent Hoefman, président du Syndicat national des écoles.

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Seul face à la violence scolaire

 

Trop de casquettes pour une seule personne. «À l’école, on est témoin de l’évolution de la société. Et on ne peut pas résoudre tous les maux de la société à nous seuls», regrette Laurent Hoefman, directeur d’une école de 180 élèves dans la région lilloise. «Parfois, les parents sont démunis face au comportement de leur enfant et attendent de nous qu’on trouve des solutions», explique-t-il.

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Dans son école de Sallaumines, David Dhersin est souvent appelé «parce qu’un élève essaie de s’enfuir ou parce qu’il est violent avec un camarade ou un adulte. Je passe parfois plus de temps à régler ces situations qu’à piloter l’école», déplore-t-il.

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Il y a des parents qui cherchent de l’aide et d’autres qui rejettent parfois la faute sur l’équipe enseignante. Dans une enquête de 2018, Georges Fotinos, ancien inspecteur de l’Éducation nationale, décrit le déclin des relations entre les parents et les directeurs d’école: 48% d’entre eux en font le constat. La principale cause de tensions entre les parents et la direction est, dans 45% des cas, la gestion d’un conflit entre deux élèves. Un moment souvent éprouvant qu’a relaté Christine Renon dans sa lettre: «La perspective d’appeler une famille pour leur dire que leur enfant est soupçonné d’avoir mis le doigt dans l’anus d’un autre dans la classe, l’école ou le centre! IMPOSSIBLE! C’est la goutte d’eau qui, ce matin, m’a anéanti.»

 

Dans cette fonction, «on se culpabilise très vite, on a toujours l’impression de ne pas être à la hauteur pour apporter l’aide dont a besoin chaque enfant», se désole Anabel Roy, qui a choisi de participer à un rassemblement en l’honneur de Christine Renon, samedi.

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«Il faut avoir les reins solides»

 

Une chose est sûre, pour faire ce métier, «il faut avoir les reins solides». «Quand on ferme la porte de l’école, on n’a pas fini», affirme Anabel Roy. «Le travail empiète sur notre vie personnelle, c’est un asservissement», renchérit Laurent Hoefman. «On est parfois dépassé, on a du mal à couper et la nuit on se réveille, on pense à tout ce qu’on doit faire», admet David Dhersin.

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C’est pour cela que, selon eux, il est primordial de travailler avec une équipe soudée. Or, ce n’est pas toujours le cas. Dans l’enquête de Georges Fotinos, 24% des directeurs se disent «ostracisés» par leurs collègues. C’est pire lorsqu’il n’y a pas du tout d’équipe... «J’ai commencé ma carrière en tant que chargée d’école, il n’y avait donc qu’une classe unique. Vous êtes seule, vous ne parlez à aucun adulte...», se souvient Anabel Roy. Les directeurs n’ont pas toujours l’occasion de se soutenir: «En milieu rural, on ne se voit qu’une à deux fois par an lorsque la hiérarchie nous fait l’état des lieux de tout ce qu’il y a de nouveaux.»

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Faire appel à la hiérarchie, c’est «faire preuve de faiblesse»

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Tous ont plus ou moins appris leur métier sur le tas. «À l’entrée dans la profession, on reçoit une formation spécifique, mais il en faudrait une chaque année... À la place, on reçoit le lien d’un dossier qu’on n’aura jamais le temps de lire», estime Laurent Hoefman.

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Difficile donc de faire face à certaines situations mais demander de l’aide à un supérieur hiérarchique s’avère inutile. «Lorsque j’ai débuté, j’ai eu la chance d’avoir un inspecteur qui m’a accompagné. Mais j’ai rapidement appris à me passer de la hiérarchie pour régler les problèmes. On sait tous que faire appel à sa hiérarchie signifie faire preuve de faiblesse. Parfois, la faute est rejetée sur le directeur et on lui reproche “vous auriez dû faire ci ou ça”», raconte le président du SNE. «Nous traitons les cas dans l’immédiateté», ajoute Anabel Roy, demander de l’aide à la hiérarchie est donc trop long.

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Pour David Dhersin, qui respectera une minute de silence vendredi en hommage à Christine Renon, avec le reste de son équipe pédagogique, c’est une urgence, le système ne fonctionne plus comme il le devrait. Ce que confirme Laurent Hoefman: «Le suicide de Christine Renon est un sacrifice pour faire avancer la cause.»

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Article de Morgane Rubetti

LeFigaro.fr

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